[Confédération][2] Rêves Mécaniques
Par : Gregor
Genre : Science-Fiction , Action
Status : Terminée
Note :
Chapitre 1
Publié le 07/06/10 à 22:49:06 par Gregor
On le poussa violemment hors des murs. La lumière, agressive, illumina douloureusement son regard usé, et des larmes se mirent à couler le long de ses joues.
Le soleil lui brûlait la peau, tissu flasque et pendant déchiré par endroits en de longues plaies suintantes. L’odeur qu’il dégageait l’écœurait, et il aurait vomi tout ce qu’il lui aurait été permis de vomir, s’il avait eu le ventre plein.
Son estomac. Organe mort qu’on avait atrophié sous le coup d’une diète totale et d’une nutrition intraveineuse à peine suffisante pour lui permettre de rester à l’état de loque humaine.
Ou l’avait sali, humilié, blessé. On avait fait de lui une bête gémissante, avouant des crimes imaginaires ou bien réels. On avait pris soin de le maintenir dans le noir le plus total, sans lui crever les yeux. Les dates n’existaient plus, il n’avait plus de repère pour tendre son esprit vers un hypothétique sursaut de dignité. Et lorsque la torture physique commença, son esprit se brisa en millier d’étincelles.
On l’avait conspué. Des crachats acides avaient couvert son visage. Ses doigts arrachés et disparus semblaient fourmilier, et la démangeaison qui les faisaient vivre dans son cerveau le rendrait bientôt fou. Des aiguilles et des trodes avaient transpercé sa boite crânienne, arrachant ses souvenirs, les modifiant ou les exacerbant. Il avait hurlé, demandé pitié, jusqu’à ce que sa langue rougisse et saigne. Mais il avait fini par se taire. Le souvenir des aiguilles qui un temps l'avaient transpercé fit remonter le long de son échine les tremblements d'une peur profonde, viscérale.
Comment cet homme aurait-il pu lutter ? Il n’était qu’une marionnette. Son corps meurtri, son esprit fracassé, il ne pouvait plus rien tenter.
— Approchez-le, demanda une voix froide et métallique.
Ses bras filiformes lui arrachèrent un spasme nerveux. Un gargouillis sonore s’étira de sa gorge à ses lèvres, pitoyable tentative d’extérioriser la douleur qui rongeait chaque organe, chaque veine, chaque cellule de son corps.
On le traina sans ménagement. Des milliers d’Hommes qui se tenaient dans l’immense salle servant d’écrin à la scène, aucun ne tenta d’intervenir. C’était inutile, cela ne servirait à rien. S'il se trouvait face à l’immense trône noir, il devait l’avoir mérité. Le Magister ne se trompait jamais. Bien au contraire, il ouvrait les esprits avec une telle force que tout mensonge sur son domaine relevait du défi. Mais même cela, il le pardonnait. Et ce jour-là, il pardonnerait tout autant à cet homme là, cet être corrompu.
Comment avait-il pu se laisser vivre ainsi ? La curiosité froide de Kristian ne s’éteignait jamais vraiment. Ce mélange calibré, de vouloir savoir et calculs colossaux effectués par l’alliance intime de ses cellules nerveuses et des composants cybernétiques qui formaient son intelligence, lui permettait de rester sans cesse à l’affût du moindre changement. Y compris les plus sordides et les plus bas, à ses yeux.
— À genoux !
Le ton dur de la voix contrastait avec le calme maîtrisé mais rayonnant du visage divisé. Une dichotomie étrange mêlait l’acier et le sang, mais hélas, ce fragile équilibre se retrouvait chaque jour plus menacé. La vieillesse, les assauts, tout poussait le Magister à transformer petit à petit la matière encore tendre de sa peau en un masque impassible qui dissimulait un peu plus la teneur de ses sentiments. On connaissait la Loi du Commandus, et on n’était pas sans savoir que les visions de Keller avaient fini par influencer le Magister Kris d’abord, puis toute la Confédération. Avec le temps, la Machine finirait par pallier les insuffisances de la Nature, même au prix d’une scission irréversible de l’humanité. Les ignorants et les contradicteurs paieraient seuls leurs erreurs, tôt où tard
Il leur faudrait un exemple.
Un avertissement ultime.
Le porteur d’une nouvelle croix, cette fois sans aucun espoir de vie nouvelle.
La Vérité du Magister ne pouvait qu’être la seule. Tolérer un autre point de vu serait revenu à se nier soi-même.
Une pince se serra sans ménagement sur sa nuque. Il perçut clairement les ligaments de son cou craquer et se tendre sous la pression qu’exerçait son bourreau. Il ne pouvait même pas espérer se débattre, à peine obéir correctement. Sa vie se jouait au milieu de ces cyborgs, il le savait. Sa vie se jouait, mais il n’aurait rien à dire. Tout cela ne dépendait plus de lui.
Si on lui demandait quoi que ce soit, il devrait obéir : assassiner, voler, répandre le mensonge et l’opprobre contre sa famille, ses amis, sa nation, dispenser un poison latent à ses camarades, se précipiter d’une falaise ou bien s’arracher le cœur.
Tout faire pour qu’on le laisse tranquille. Même si c’est fou, amoral, impossible.
La silhouette massive du Magister le rassura, vue du sol. Il crut voir un sourire franc et paternel égayer la surface impassible du maitre absolu de ses bourreaux.
Une lueur d’espoir, inexplicable et imperceptible, se mit à briller au fond de ses yeux.
— Pourquoi es-tu là, Homme ?
Tous pouvaient clairement l’entendre. Le timbre grave et net de la voie demeurerait sans appel.
Kristian posait les formes, calculait chaque syllabe qu’il prononçait. Rien ne résultait du hasard. Tout était calculé, programmé, paramétré. La fin ne laissait aucun doute, hormis les paroles du prisonnier lui-même. Mais là non plus, aucun grand mystère ne planerait longtemps.
Le soleil embrassait l’immense hall. Le trône, placé dans l’axe de l’astre, semblait flotter au-dessus d’une foule compacte et forte de milliers d’individus, silencieuse et immobile. Le temps s’arrêta quelques secondes, temps suffisant à l’écho des paroles du Magister pour se répandre entre les piliers et les murs qui supportaient le lourd palais.
L'homme releva la tête.
Un sourire béat et des larmes de sang au coin des yeux, il ouvrit la bouche. Hoqueta, gémit, et s’aplatit contre le sol, secoué par de lourds et violents sanglots.
— Pourquoi es-tu là, Homme ?
Les sanglots redoublèrent. Kristian ne bougeait plus d’un millimètre. Son œil bionique vira au rouge grenat, tandis que quelques-unes des articulations de ses bras se tendaient et se détendaient alternativement. Le bruit, sinistre, ne choquait personne. Hormis l'homme.
Il ne savait que répondre, quoi dire ou faire. Comment pouvait-il renoncer ? Comment pouvait il ne serait-ce qu’embrasser la cause de ce qu’il avait appris à haïr de plus en plus, chaque jour ?
La Mort ? Non, cela aurait été si simple. La Confédération ne tuait aucun de ses prisonniers, même les plus abjects, les plus terribles ou dangereux.
La Folie ? Elle aurait été bien douce, bien trop douce. On ne connaissait plus la folie humaine qu’en une dénégation de la technologie et du progrès, une tentative vaine de masquer la voie de la raison, aussi cruelle fût-elle.
Son cœur se mua en une masse compacte, insaisissable, qui arrachait chaque parcelle de ses entrailles. Il avait perdu. Quoi qu’il fasse, il comprit qu’aucune échappatoire ne serait plus possible. On allait le contraindre à se nier. À se contredire. À bannir de ses souvenirs ce qu’il chérissait le plus.
Alors, cruellement lucide, il se redressa, une dernière fois, et fixa le cyborg. Comment pouvait-on encore le prétendre humain ? Que ressentait-il derrière l’acier de son corps ? Pouvait-il seulement aimer, au moins ses enfants ?
L’avait-on contraint au point qu’il ne puisse plus faire autrement ?
Peut-être.
Peut-être pas.
Lui aussi avait dû choisir.
Une ultime étincelle, minuscule, flamboya dans les yeux sanguinolents de l'homme. Il ne pouvait pas en réchapper, mais au moins, être encore libre une poignée de secondes.
Soupir, contraction. Le silence était absolu, magnifique.
— Je suis là, car je n’ai pas foi en vous, Magister.
Murmure outré dans l’assistance. Kristian se pencha en avant, d’un mouvement à peine identifiable.
— Je suis là, car j’ai voulu croire en la liberté. Je suis là, car j’ai voulu rester un homme souverain de lui-même, quitte à en mourir. Je suis là, car je suis une aberration à vos yeux. Je suis là, car j’ai osé penser que l’Homme pouvait évoluer seul, sans votre technologie.
Il reprit son souffle. La dernière phrase serait un aiguillon dur, permanent, que personne ne pourrait retirer.
— Je suis là, car je ne vous aime pas, Magister.
Les protestations explosèrent dans la foule. Des paroles froides et dures comme du marbre percutaient chaque centimètre du corps de l'homme, coulant sur lui comme la pluie salvatrice d’une averse printanière.
Impassible, le pauvre homme souriait tranquillement. Il avait réussi à se libérer de ce poids une vingtaine de secondes. Maintenant, il pourrait tout endurer.
Kristian se leva, sans crier gare, et descendit les quelques marches qui le séparaient du prisonnier béat. S’approchant toujours plus prés, il le saisit par le col lorsqu’il se retrouva à sa hauteur, et lui glissa à l’oreille quelques mots qu’eux deux seuls purent entendre
— Je n’ai pas d’autres choix.
Un spasme glacé coupa en lui toute envie de se débattre. Kristian reprit, de cette voix brute et mécanique qui emplissait tout son auditoire du même élan de joie.
— Puisse ce traitre accéder à la Vérité.
La main libre du Magister s’empara du cou de Liam, et une série d’aiguilles lui transpercèrent la peau. Il hurla de douleur, sa vision se brouilla davantage, et il ne perçut bientôt plus du monde qu’extérieur qu’un brouillard flou et lumineux. Lorsque son ultime bourreau le lâcha et que son corps fragile percuta les marches en albâtre poli, il lutta contre un autre accès de souffrance, lent et pernicieux, qui tentait de faire exploser chaque cellule de son corps.
Le liquide épais détruisait ses artères et sa raison, son envie. Une torpeur désagréable saisissait sa conscience, la pliant en deux, quatre, seize, soixante. Le haut devenait le bas, la gauche, la droite. Une musique aux accents de jazz percuta ses tympans une fraction de seconde, pour ne plus laisser que le silence. Dehors, le brouillard de ses larmes devint mauve, cyan, vermillon. Son esprit gonflait, turgescent, avant de s’atrophier aussitôt, et de l’emporter, vague marine d’une nuit sans lune, vers les tréfonds de sa volonté.
Il revit, une dernière fois, les visages familiers. Griffant son visage, caressant d’un geste doux ou d’un sourire ses yeux usés, ils ne luttèrent guère avant de s’en aller à tout jamais. Même ses souvenirs le fuyaient. Bientôt il ne resta plus qu’un nom, et un visage, celui d’un homme blond aux traits durs et au regard froid. Un rictus sévère courant sur ses lèvres, il lui adressa un clin d’œil moqueur.
Gregor l’avait bien eu.
Et il avait échoué.
Seul.
Lorsque le corps se convulsa, Kristian ne détacha pas son regard, neutre et satisfait à la fois. D’un geste sûr et adroit, les fines aiguilles qui avaient saillie de sa pince droite se rétractèrent, terribles outils de tortures maintenus en sommeil pour une durée indéterminée. Une Conversion n’était jamais un acte simple, encore moins une formalité. Elle engageait sa volonté la plus intime à chaque fois, pour lutter contre une conscience adverse souvent acharnée à lutter ou à mourir.
Épuisante, l’expérience ne lui semblait pas moins enrichissante.
Le Magister releva la tête, le visage gravé de cette expression impassible et absolu qui le couvrait si souvent.
— Malheur aux traitres ! Voilà ce que nous réservons aux ennemis de la Confédération ! Exulta-t-il .
— Gloire à la Vérité et au Magister qui la répand ! Répondit la foule, électrisée, d’une seule et même voix.
— Souvenez-vous, frères et sœurs, des rêves que nous portons depuis une décennie. Souvenez-vous de la douleur, des pertes, mais aussi des promesses et des acquis. Souvenez-vous de ce long chemin, de nos actes bons comme mauvais, et de l’unique possibilité de sauver l’Humanité. Nous ne payerons pas le prix de l’ignorance, car les impies seuls le payeront.
— La liberté c’est l’esclavage ! Rugis l’assistance.
— La liberté est illusion. La seule liberté qu’il leur reste, c’est celle d’embrasser avec ferveur notre cause, et de s’y atteler avec ardeur et dignité. Nous ne tolérerons pas la faiblesse ! Seul l’effort comptera !
— Nous servirons le Futur dans la Force et dans l’Honneur. Le Magister Kris est notre guide et nous sommes à tout jamais ses fidèles serviteurs !
— Répandez la Vérité. Et rappelez-vous la peine qui attend chaque opposant à la Confédération, conclut le Magister.
Le soleil lui brûlait la peau, tissu flasque et pendant déchiré par endroits en de longues plaies suintantes. L’odeur qu’il dégageait l’écœurait, et il aurait vomi tout ce qu’il lui aurait été permis de vomir, s’il avait eu le ventre plein.
Son estomac. Organe mort qu’on avait atrophié sous le coup d’une diète totale et d’une nutrition intraveineuse à peine suffisante pour lui permettre de rester à l’état de loque humaine.
Ou l’avait sali, humilié, blessé. On avait fait de lui une bête gémissante, avouant des crimes imaginaires ou bien réels. On avait pris soin de le maintenir dans le noir le plus total, sans lui crever les yeux. Les dates n’existaient plus, il n’avait plus de repère pour tendre son esprit vers un hypothétique sursaut de dignité. Et lorsque la torture physique commença, son esprit se brisa en millier d’étincelles.
On l’avait conspué. Des crachats acides avaient couvert son visage. Ses doigts arrachés et disparus semblaient fourmilier, et la démangeaison qui les faisaient vivre dans son cerveau le rendrait bientôt fou. Des aiguilles et des trodes avaient transpercé sa boite crânienne, arrachant ses souvenirs, les modifiant ou les exacerbant. Il avait hurlé, demandé pitié, jusqu’à ce que sa langue rougisse et saigne. Mais il avait fini par se taire. Le souvenir des aiguilles qui un temps l'avaient transpercé fit remonter le long de son échine les tremblements d'une peur profonde, viscérale.
Comment cet homme aurait-il pu lutter ? Il n’était qu’une marionnette. Son corps meurtri, son esprit fracassé, il ne pouvait plus rien tenter.
— Approchez-le, demanda une voix froide et métallique.
Ses bras filiformes lui arrachèrent un spasme nerveux. Un gargouillis sonore s’étira de sa gorge à ses lèvres, pitoyable tentative d’extérioriser la douleur qui rongeait chaque organe, chaque veine, chaque cellule de son corps.
On le traina sans ménagement. Des milliers d’Hommes qui se tenaient dans l’immense salle servant d’écrin à la scène, aucun ne tenta d’intervenir. C’était inutile, cela ne servirait à rien. S'il se trouvait face à l’immense trône noir, il devait l’avoir mérité. Le Magister ne se trompait jamais. Bien au contraire, il ouvrait les esprits avec une telle force que tout mensonge sur son domaine relevait du défi. Mais même cela, il le pardonnait. Et ce jour-là, il pardonnerait tout autant à cet homme là, cet être corrompu.
Comment avait-il pu se laisser vivre ainsi ? La curiosité froide de Kristian ne s’éteignait jamais vraiment. Ce mélange calibré, de vouloir savoir et calculs colossaux effectués par l’alliance intime de ses cellules nerveuses et des composants cybernétiques qui formaient son intelligence, lui permettait de rester sans cesse à l’affût du moindre changement. Y compris les plus sordides et les plus bas, à ses yeux.
— À genoux !
Le ton dur de la voix contrastait avec le calme maîtrisé mais rayonnant du visage divisé. Une dichotomie étrange mêlait l’acier et le sang, mais hélas, ce fragile équilibre se retrouvait chaque jour plus menacé. La vieillesse, les assauts, tout poussait le Magister à transformer petit à petit la matière encore tendre de sa peau en un masque impassible qui dissimulait un peu plus la teneur de ses sentiments. On connaissait la Loi du Commandus, et on n’était pas sans savoir que les visions de Keller avaient fini par influencer le Magister Kris d’abord, puis toute la Confédération. Avec le temps, la Machine finirait par pallier les insuffisances de la Nature, même au prix d’une scission irréversible de l’humanité. Les ignorants et les contradicteurs paieraient seuls leurs erreurs, tôt où tard
Il leur faudrait un exemple.
Un avertissement ultime.
Le porteur d’une nouvelle croix, cette fois sans aucun espoir de vie nouvelle.
La Vérité du Magister ne pouvait qu’être la seule. Tolérer un autre point de vu serait revenu à se nier soi-même.
Une pince se serra sans ménagement sur sa nuque. Il perçut clairement les ligaments de son cou craquer et se tendre sous la pression qu’exerçait son bourreau. Il ne pouvait même pas espérer se débattre, à peine obéir correctement. Sa vie se jouait au milieu de ces cyborgs, il le savait. Sa vie se jouait, mais il n’aurait rien à dire. Tout cela ne dépendait plus de lui.
Si on lui demandait quoi que ce soit, il devrait obéir : assassiner, voler, répandre le mensonge et l’opprobre contre sa famille, ses amis, sa nation, dispenser un poison latent à ses camarades, se précipiter d’une falaise ou bien s’arracher le cœur.
Tout faire pour qu’on le laisse tranquille. Même si c’est fou, amoral, impossible.
La silhouette massive du Magister le rassura, vue du sol. Il crut voir un sourire franc et paternel égayer la surface impassible du maitre absolu de ses bourreaux.
Une lueur d’espoir, inexplicable et imperceptible, se mit à briller au fond de ses yeux.
— Pourquoi es-tu là, Homme ?
Tous pouvaient clairement l’entendre. Le timbre grave et net de la voie demeurerait sans appel.
Kristian posait les formes, calculait chaque syllabe qu’il prononçait. Rien ne résultait du hasard. Tout était calculé, programmé, paramétré. La fin ne laissait aucun doute, hormis les paroles du prisonnier lui-même. Mais là non plus, aucun grand mystère ne planerait longtemps.
Le soleil embrassait l’immense hall. Le trône, placé dans l’axe de l’astre, semblait flotter au-dessus d’une foule compacte et forte de milliers d’individus, silencieuse et immobile. Le temps s’arrêta quelques secondes, temps suffisant à l’écho des paroles du Magister pour se répandre entre les piliers et les murs qui supportaient le lourd palais.
L'homme releva la tête.
Un sourire béat et des larmes de sang au coin des yeux, il ouvrit la bouche. Hoqueta, gémit, et s’aplatit contre le sol, secoué par de lourds et violents sanglots.
— Pourquoi es-tu là, Homme ?
Les sanglots redoublèrent. Kristian ne bougeait plus d’un millimètre. Son œil bionique vira au rouge grenat, tandis que quelques-unes des articulations de ses bras se tendaient et se détendaient alternativement. Le bruit, sinistre, ne choquait personne. Hormis l'homme.
Il ne savait que répondre, quoi dire ou faire. Comment pouvait-il renoncer ? Comment pouvait il ne serait-ce qu’embrasser la cause de ce qu’il avait appris à haïr de plus en plus, chaque jour ?
La Mort ? Non, cela aurait été si simple. La Confédération ne tuait aucun de ses prisonniers, même les plus abjects, les plus terribles ou dangereux.
La Folie ? Elle aurait été bien douce, bien trop douce. On ne connaissait plus la folie humaine qu’en une dénégation de la technologie et du progrès, une tentative vaine de masquer la voie de la raison, aussi cruelle fût-elle.
Son cœur se mua en une masse compacte, insaisissable, qui arrachait chaque parcelle de ses entrailles. Il avait perdu. Quoi qu’il fasse, il comprit qu’aucune échappatoire ne serait plus possible. On allait le contraindre à se nier. À se contredire. À bannir de ses souvenirs ce qu’il chérissait le plus.
Alors, cruellement lucide, il se redressa, une dernière fois, et fixa le cyborg. Comment pouvait-on encore le prétendre humain ? Que ressentait-il derrière l’acier de son corps ? Pouvait-il seulement aimer, au moins ses enfants ?
L’avait-on contraint au point qu’il ne puisse plus faire autrement ?
Peut-être.
Peut-être pas.
Lui aussi avait dû choisir.
Une ultime étincelle, minuscule, flamboya dans les yeux sanguinolents de l'homme. Il ne pouvait pas en réchapper, mais au moins, être encore libre une poignée de secondes.
Soupir, contraction. Le silence était absolu, magnifique.
— Je suis là, car je n’ai pas foi en vous, Magister.
Murmure outré dans l’assistance. Kristian se pencha en avant, d’un mouvement à peine identifiable.
— Je suis là, car j’ai voulu croire en la liberté. Je suis là, car j’ai voulu rester un homme souverain de lui-même, quitte à en mourir. Je suis là, car je suis une aberration à vos yeux. Je suis là, car j’ai osé penser que l’Homme pouvait évoluer seul, sans votre technologie.
Il reprit son souffle. La dernière phrase serait un aiguillon dur, permanent, que personne ne pourrait retirer.
— Je suis là, car je ne vous aime pas, Magister.
Les protestations explosèrent dans la foule. Des paroles froides et dures comme du marbre percutaient chaque centimètre du corps de l'homme, coulant sur lui comme la pluie salvatrice d’une averse printanière.
Impassible, le pauvre homme souriait tranquillement. Il avait réussi à se libérer de ce poids une vingtaine de secondes. Maintenant, il pourrait tout endurer.
Kristian se leva, sans crier gare, et descendit les quelques marches qui le séparaient du prisonnier béat. S’approchant toujours plus prés, il le saisit par le col lorsqu’il se retrouva à sa hauteur, et lui glissa à l’oreille quelques mots qu’eux deux seuls purent entendre
— Je n’ai pas d’autres choix.
Un spasme glacé coupa en lui toute envie de se débattre. Kristian reprit, de cette voix brute et mécanique qui emplissait tout son auditoire du même élan de joie.
— Puisse ce traitre accéder à la Vérité.
La main libre du Magister s’empara du cou de Liam, et une série d’aiguilles lui transpercèrent la peau. Il hurla de douleur, sa vision se brouilla davantage, et il ne perçut bientôt plus du monde qu’extérieur qu’un brouillard flou et lumineux. Lorsque son ultime bourreau le lâcha et que son corps fragile percuta les marches en albâtre poli, il lutta contre un autre accès de souffrance, lent et pernicieux, qui tentait de faire exploser chaque cellule de son corps.
Le liquide épais détruisait ses artères et sa raison, son envie. Une torpeur désagréable saisissait sa conscience, la pliant en deux, quatre, seize, soixante. Le haut devenait le bas, la gauche, la droite. Une musique aux accents de jazz percuta ses tympans une fraction de seconde, pour ne plus laisser que le silence. Dehors, le brouillard de ses larmes devint mauve, cyan, vermillon. Son esprit gonflait, turgescent, avant de s’atrophier aussitôt, et de l’emporter, vague marine d’une nuit sans lune, vers les tréfonds de sa volonté.
Il revit, une dernière fois, les visages familiers. Griffant son visage, caressant d’un geste doux ou d’un sourire ses yeux usés, ils ne luttèrent guère avant de s’en aller à tout jamais. Même ses souvenirs le fuyaient. Bientôt il ne resta plus qu’un nom, et un visage, celui d’un homme blond aux traits durs et au regard froid. Un rictus sévère courant sur ses lèvres, il lui adressa un clin d’œil moqueur.
Gregor l’avait bien eu.
Et il avait échoué.
Seul.
Lorsque le corps se convulsa, Kristian ne détacha pas son regard, neutre et satisfait à la fois. D’un geste sûr et adroit, les fines aiguilles qui avaient saillie de sa pince droite se rétractèrent, terribles outils de tortures maintenus en sommeil pour une durée indéterminée. Une Conversion n’était jamais un acte simple, encore moins une formalité. Elle engageait sa volonté la plus intime à chaque fois, pour lutter contre une conscience adverse souvent acharnée à lutter ou à mourir.
Épuisante, l’expérience ne lui semblait pas moins enrichissante.
Le Magister releva la tête, le visage gravé de cette expression impassible et absolu qui le couvrait si souvent.
— Malheur aux traitres ! Voilà ce que nous réservons aux ennemis de la Confédération ! Exulta-t-il .
— Gloire à la Vérité et au Magister qui la répand ! Répondit la foule, électrisée, d’une seule et même voix.
— Souvenez-vous, frères et sœurs, des rêves que nous portons depuis une décennie. Souvenez-vous de la douleur, des pertes, mais aussi des promesses et des acquis. Souvenez-vous de ce long chemin, de nos actes bons comme mauvais, et de l’unique possibilité de sauver l’Humanité. Nous ne payerons pas le prix de l’ignorance, car les impies seuls le payeront.
— La liberté c’est l’esclavage ! Rugis l’assistance.
— La liberté est illusion. La seule liberté qu’il leur reste, c’est celle d’embrasser avec ferveur notre cause, et de s’y atteler avec ardeur et dignité. Nous ne tolérerons pas la faiblesse ! Seul l’effort comptera !
— Nous servirons le Futur dans la Force et dans l’Honneur. Le Magister Kris est notre guide et nous sommes à tout jamais ses fidèles serviteurs !
— Répandez la Vérité. Et rappelez-vous la peine qui attend chaque opposant à la Confédération, conclut le Magister.
01/09/12 à 23:33:05
Bon, comme je t?ai dit, c?est globalement très bon niveau fond. Parlons vite parlons bien, voilà mes remarques de forme. Tu le sais déjà, mais je suis chiant comme la mort.
Bon pour les fautes, tu ne peux rien y faire (sauf vérifier si je me suis pas trompé. ) Après j?ai mis ce qui me dérangeait, ce que j?aurais mis à la place, bref. Prends ce que tu veux, laisse le reste.
Les sept navettes de cette petite armada se posèrent sans encombre, au centre de l'immense place.
Pas de virgule.
Un vent âcre chassait de sombres nuages, quelques gouttes s'écrasèrent sur les hublots des véhicules, en pétillant.
Pas la deuxième virgule.
Alors qu'officiers et soldats sortaient et se réorganisaient en colonnes et lignes rigides, je guettais le soleil d'Alioth à travers les nuages. La chaleur froide de l'astre pesait sur l'atmosphère, prélude d'un orage au dessus de ce cadre monumental.
Trait d?union à au-dessus. J?aime pas trop au-dessus d?ailleurs, j?aurais mis : prélude d?un orage menaçant ce cadre monumental.
Mon regard se détourna très naturellement vers les colonnades impossibles qui ceinturaient le carré parfait de l'esplanade, vertige des verticales grise, ascendante, aiguillons rigides qui soutenaient des façades constellées de fenêtres rondes, milliers et milliers d'ouvertures vers ce ciel indistinct, couleur d'automne.
grises, ascendantes
Pas un seul végétal ne s'accrochait à la pierre, et pourtant, les signes visibles du temps s'accumulaient. Des fissures discrètes, des grumeaux de stucs, le dallage noir et blanc qui s?éclaircissaient sou la lumière d'Alioth, les joints fendillés, tous ces petits éléments rendait l'atmosphère plus palpable, plus antique, et d'une certaine façon, plus mélancolique.
s?éclaircissait, sous, rendaient. J?aurais mis détails à la place d?éléments.
L'absence d'êtres vivants confortait cette impression. Et morts, ou disparus, leur absence se devinait dans l'écho du vent hurlant dans les vides, dans le gris incertain des nuages qui se mêlaient à celui des constructions vertigineuses.
Un passage que j?aime pas, « deviner leur absence ». De plus, si tu écris « mêlaient à celui », tu dis que les nuages se mêlent au gris des constructions. Or, je pense que tu voulais dire que c?est le gris des nuages qui se mêle avec celui des constructions. Donc « mêlait ». Mais le sens m?échappe, je veux dire, le vent hurlant et le gris des nuages te fait deviner qu?il n?y a pas de morts ou de disparus ? C?est vraiment le verbe deviner qui pose problème, j?ai du mal à voir ce qu?il fait là. Genre, si y avait eu quelqu?un de vivant ou mort, ça aurait étonné ton personnage, juste parce que les nuages sont gris et que le vent est hurlant ? Plus je réfléchis à ce passage, moins il me plait. J?arrive pas à comprendre ce que tu voulais dire. ^^
Il s'écoula plusieurs minutes, où chacun demeurait dans cette contemplation respectueuse. Benito s'approcha, mais n'ouvrit pas la conversation. Tous attendait. Tous m'attendait. Mais j'étais aussi perdu qu'eux.
attendaient, m?attendaient.
Ouvrir la conversation, ça me plaît pas. Entama, et faudra trouver un synonyme plus bas. La première phrase me gêne. Le « où », en fait. Tu peux pas mettre « pendant lesquelles », car ça répète « dans » après, c?est moche. J?aurais écrit :
Plusieurs minutes s?écoulèrent, et chacun demeura dans cette contemplation respectueuse.
Sans crier gare, la solution vint de ces ruines à peine entamées. La silhouette longiligne se dessina entre les futs de deux colonnes cylindriques, segment minuscule d'étoffe rouge, visage épais comme la tête d'une épingle, point gris surgissant du néant. Il s'avança, noblement, avec une lenteur si belle et si pure que notre hôte paraissait voleter au dessus des carreaux bichromes.
Si tu as changé ouvrit par entama, il te faut trouver autre chose pour entamées. Les fûts. Dans la dernière phrase, j?aurais viré la première virgule (ou alors j?aurais mis « noble »), et j?aurais inversé « Il » avec « notre hôte ». Trait d?union pour au-dessus.
Cent mètre, sa taille n'augmentait pas. Deux cent mètres, sa grandeur ne dépassait pas celle d'un pouce. Trois cent mètres, les premiers détails de son anatomie se révélaient. Quatre cent mètre, la gravité atone de son visage me stupéfiait. Cinq cent mètres, il ne se trouvait plus qu'à quelque pas de notre position.
mètres deux fois. quelques.
La distance respectueuse qu'il nous laissa en s'arrêtant ainsi le rendait à peine plus palpable. Les plis de son vêtement, une toge constituée d'un tissu épais et raide comme du coton, ne se laissaient pas ballotter par les à-coups du vent. La pluie menaçante semblait s'éloigner. Silence glacial, que son regard doré peinait à dissiper. Un nez comme une pyramide habillait son visage plat, morne, sans ride ni ridule. Un front haut, comme infini, une bouche aussi fine qu'un trait de lame, sans lèvres, des traits plus fuyant qu'affirmés. Et le reste du corps, plongé dans ce tissu, d'où sortaient deux bras filiformes.
La distance respectueuse qu?il laissa entre nous en s?arrêtant ainsi, peut-être ? fuyants. Répétition de trait dans l?avant dernière phrase. J?enlèverais la première virgule de la dernière phrase. Mettre « plongé dans ce tissu » entre virgules revient à le mettre entre parenthèses, donc tu veux dire : Et le reste du corps, d?où sortaient deux bras filiformes. Or, je pense que tu voulais faire sortir les bras du tissu. Donc pas de première virgule.
La main gauche se crispa. Six doigts longs d'une vingtaine de centimètres se tendirent vers nous, se rétractant doucement, sans hâte. L'expression terriblement neutre de son visage ne changeait pas. J'en déduisis rapidement qu'il nous invitait. Et sans attendre une forme de réponse de notre part, il fit demi-tour, sa lente démarche sublimant la place, comme si la présence de ce seul être vivant avait suffit à repeupler cette cité morte.
suffi. J?aurais mis : la seule présence de cet être? Rétracter signifie tirer en arrière, genre quand un chat sort les griffes, après il les rétracte pour les faire rentrer. Je sais pas si c?est ce que tu voulais dire, mais ça fait bizarre, car ses doigts se tendent vers nous, et le participe présent « rétractant » suggèrent qu?ils rentrent dans ses phalanges en même temps, ou j?ai pas compris ? Ou alors il tend la main et rabat les doigts sur sa paume pour nous inviter ? Dans ce cas là, j?aurais écrit : Six doigts longs d'une vingtaine de centimètres se tendirent vers nous avant de se rétracter doucement, sans hâte.
? Je n?aime pas ça, Gregor.
Benito, suspicieux et sombre, m?emboîta le pas sans se poser plus de question. Moi non plus, je n'aimais pas ça. Plus qu'une barrière, un gouffre nous séparait. Soixante-dix-huit humains ou apparentés d'un coté, une créature anthropomorphe de l'autre.
Accent sur côté.
Cinquante mètres entre les deux, et toujours cette sensation étonnante, presque nauséeuse, de savoir qu'aller plus avant, franchir les centaines de mètres de la place pour aller sous les colonnades, s'embrancher dans un escalier en albâtre aux dimensions écrasantes et poursuivre un chemin dans des couloirs en demi-pénombre n'était pas la meilleure idée possible.
Répétition de mètres. Franchir la place pour [?] peut-être ?
Il aurait fallu attendre. Contacter des tacticiens stationnés sur les croiseurs, prendre le temps de reculer, de réfléchir. Le temps avait tout d'un luxe dans cette situation. Un luxe où la pauvreté de nos choix pouvaient sembler parfaitement ridicule, si tragique et totalement dramatique pourtant. Il avait fallut décidé. Prendre ce risque insensé. Aller caresser du bout des doigts l'hypothèse du piège, de la mort aux relents de secret, suave fraîcheur de la pierre enterrée que nos bottes foulaient, que nos regards embrassaient, que nos esprits interprétaient.
Pouvait. Fallu décider.
La créature tourna dans un boyau, plus étroit, long d'une dizaine de mètre. Le choc de sa disparition fut aussi concis que ce qui nous attendait dépassait l'entendement. Car après la rectitude de la place et la noirceur étouffante des couloirs, la rotondité d'une coupole stupéfiante, immense, nous prit à la gorge. Nous volions de surprises en surprises.
J?enlèverais la première virgule et remplacerait la deuxième par « et ». J?aime pas choc concis, et la recherche sur google montre que c?est légitime. Choc bref, peut-être ? J?aime pas trop la fin non plus, le fait que ça soit la rotondité qui nous prenne à la gorge? Mais j?ai rien de mieux à proposer. Peut-être : la vue d?une coupole ronde et stupéfiante, immense, nous prit à la gorge. Mais bof.
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